Le mot en A
Il y a un mois, j’ai cessé d’être un élu municipal. Je ne sais pas si c’est assez de temps pour prendre le recul nécessaire pour en parler, mais je ressens encore le besoin de faire, sinon un compte-rendu de mes quatre ans au poste, au moins un post-mortem de l’élection et son contexte.
À vrai dire, je ne m’attendais pas à gagner, et c’est devenu de plus en plus clair au long de la campagne, malgré les mots d’encouragement que je recevais quand même assez souvent en porte-à-porte. Il faut que je le dise: j’aime ça faire de la politique, surtout le porte-à-porte. Même si je suis quelqu’un d’assez introverti dans la vie de tous les jours, j’ai toujours un immense plaisir à discuter avec n’importe qui sur n’importe quel sujet. Une campagne électorale, pour moi, c’est surtout une licence à jaser, et j’en profite.
Reste que, quand les gens disent n’importe quoi sur la place publique, j’ai tendance à perdre patience, et c’est une des multiples raisons que je ne suis pas un bon politicien. Je n’ai pas lu toutes les choses qui se sont dites à mon égard sur F*ceb**k (le nom de cette plateforme de marde est censuré pour la protection des enfants) mais ce qui sortait souvent de la bouche numérique de certains comptes plus ou moins anonymes, c’était que je suis «arrogant», sûrement à cause d’avoir répondu de façon bête à certains citoyens harcélants lors des séances du conseil municipal (mais aussi un en particulier qui dans le fond était de bonne foi et juste un peu intense, auprès de qui je me suis excusé…)
Si me tenir à la vérité en politique est une forme d’arrogance, oui, je suis arrogant.
Je ne prétends pas posséder la vérité absolue, et moi aussi ça m’arrive de dire n’importe quoi. Mais il est aussi important pour moi d’admettre quand j’ai tort, ce qui est le devoir d’un scientifique mais très mal vu pour un politicien, et quasi impensable pour un habitué de la période de questions au conseil. Bref, arrogant toi chose.
Ce qui m’a le plus exaspéré, c’était l’exaggération, la décontextualisation et la déformation des effets potentiels de tout décision ou développement qui changerait moindrement le quotidien d’une poignée de citoyens… ou même d’un seul individu. Comme j’ai dit au conseil, je crois qu’on a fait beaucoup de mal au monde avec le slogan «penser globalement, agir localement», parce que la nature humaine n’est pas motivée par des enjeux globaux. Dans la vraie vie, les gens pensent localement, très localement:
- La rue est devenue à sens unique et j’ai besoin de conduire 800m de plus pour aller à l’épicerie! (…qui est à cinq minutes de chez moi à pied ou à vélo)
- Ces nouveaux «condos» se louent à 2000$ par mois, ce sont juste des «gens de l’extérieur» qui peuvent se payer ça! (…alors qu’une maison modeste se vend facilement 500 000$, ce qui est beaucoup plus que 2000$ par mois en hypothèque et taxes)
- Personne n’utilise ces bornes pour véhicule électrique et ça enlève du stationnement au vrai monde! (…alors que lesdites bornes n’étaient pas encore branchées et elles ont fini par être très souvent utilisées)
- On a coupé des arbres pour construire encore des maudits «condos»! C’est un massacre, un saccage, une coupe à blanc! (…en milieu déjà urbanisé, alors qu’on a coupé autant d’arbres pour construire une maison unifamiliale à deux coins de rue, alors qu’on en couperait six fois plus si on construisait 18 unifamiliales au lieu de trois 6-plex)
C’est normal, c’est compréhensible… et c’est la définition même du phénomène «pas-dans-ma-cour»: l’opposition du voisinage à des aménagements ou des développements dont les bénéfices sont globalisées, alors que les coûts sont très localisés.
Mais de grâce ne prétendez pas être des guerriers pour les finances de la ville, pour l’environnement, pour la sécurité routière, ou même simplement pour la qualité de vie de tout le monde lorsque vous dites des énormités pareil. C’est assez transparent que vous êtes intéressés par votre petite personne, par «votre lac» qui ne vous appartient même pas, par vos habitudes de vie et de déplacements. Ce n’est pas pour vous insulter - je vous ai écoutés pareil et je vous écoute encore, parce que vous êtes des citoyens et vos enjeux personnels sont quand même digne d’écoute! Mais ayez au moins l’humilité de l’admettre…
Je vous aime, j’aime ma ville, j’aime ses citoyens et citoyennes, mais, et je peux enfin le dire haut et fort car je ne me présente plus en politique, je suis arrogant et je m’assume: parfois vous dites n’importe quoi, et vous le savez.
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